Avd : Puisque le mal existe, d’où vient-il ? Puisque, aujourd’hui, notre question essentielle est « Pourquoi Dieu laisse-t-il faire le mal ? », Dieu est-il pour quelque chose dans l’existence du mal ? Est-ce que Dieu nous veut du mal ?
AvD : Pour les philosophes du dualisme ou du manichéisme, il existe une opposition entre le Bien et le Mal. Pour eux, il y a donc deux divinités : le dieu du bien et celui du mal. Ils s’opposent, ils se combattent l’un l’autre.
Pour les juifs et les chrétiens, la Bible n’apporte pas une réponse claire. Après les deux récits de la création racontés dans le premier livre de la Bible, la Genèse, le 3° chapitre raconte le premier acte qui va contre le projet de Dieu. Il est connu sous le nom de péché originel.
Avd : Qu’est-ce que ce péché originel ?
AvD : S’il est qualifié d’originel, ce n’est pas parce qu’il serait le premier dans l’histoire de l’humanité. C’est plutôt parce que l’homme et la femme qui vivaient un ‘état de grâce’ avec Dieu, ont refusé de Le reconnaître comme leur origine et leur Créateur. Ils ont refusé de reconnaître qu’un Autre les avait créés et que la vie était un cadeau. Autrement dit, ils ont voulu devenir leur propre origine. Ils ont voulu être un homme et une femme qui se sont faits eux-mêmes, par eux-mêmes. Tous seuls. Sans Dieu.
Avd : D’où leur est venue cette idée ? de Dieu ? Certains disent : « Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter cela ? »
AvD : Comme Adam et Eve ont refusé Dieu, vous comprenez que cette idée ne peut pas venir de Lui, sinon cela viendrait contredire l’idée que Dieu est bon. Sinon il serait pervers ! A aucun moment, Dieu ne répond au mal par le mal. Platon écrit que « puisque Dieu est bon, il n’est pas la cause de tout […] ; pour ce qui est du mal, nul autre que lui n’en est l’auteur ; mais pour les maux, il faut en chercher la cause ailleurs qu’en Dieu. » (République 379c)
Après avoir désobéi, l’homme va jouer à cache-cache avec Dieu. Et quand Dieu vient rendre visite à Adam, Dieu semble surpris que l’homme se soit caché et qu’il ait découvert sa nudité. Comme si Dieu n’avait pas prévu cette éventualité. On peut donc en conclure que Dieu est innocent du mal, que Dieu n’a pas eu l’idée du mal !
Avd : Si ce n’est pas de Dieu, alors leur vient-elle d’eux-mêmes ? de quelqu’un d’autre ? du diable ?
AvD : On peut dire qu’elle vient d’eux. Au sens où ils ont refusé, ils ont désobéi. Ils portent eux-mêmes la responsabilité. Devant un juge, je ne sais pas s’ils plaideraient coupables, mais ils seraient reconnus responsables.
Si on relit attentivement la suite du texte de Genèse 3, quand Dieu interroge l’homme, il reporte la responsabilité sur la femme (3,12) qui, à son tour, la reporte sur le serpent qui l’a trompée (3, 13b). Vous remarquez qu’on cherche toujours un coupable pour se disculper soi-même.
Avd : Oui, mais le serpent n’est qu’un animal. Il n’y a que dans les Fables de La Fontaine et les dessins animés que les animaux parlent. Qui est ce serpent ?
AvD : L’auteur biblique nous dit que « le serpent est le plus rusé de tous les animaux » (3,1) de la terre. Il a voulu faire passer Dieu pour un menteur. Alors que l’homme et la femme avaient toute confiance en Dieu, le serpent a voulu semer le doute dans leur esprit et leur cœur : malgré la bonté réelle de Dieu, le serpent a voulu leur faire croire que Dieu ne leur avait pas tout donné. Il a voulu qu’ils se méfient de Dieu.
Au sujet du serpent qui parle, il faut savoir que les 11 premiers chapitres du livre de la Genèse utilisent un langage imagé. Les auteurs juifs ont cherché à répondre à certaines questions : non pas comment Dieu a fait le monde, mais pour quoi ? dans quel but ? et aussi, qu’est-ce qui fait qu’il y a une relation particulière entre Dieu et les hommes, différente du reste de la création, et aussi d’où vient le mal ? …
Méditation du pape François sur Gn 3, à Yad Vashem, 70 ans après la Shoah (26.05.2014)